ref:
Cyberfeminism With A Difference
Rosi Braidotti www.let.ruu.nl/womens_studies/rosi/cyberfem.htm
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Rosi Braidotti
traduction Yves Cantraine, Anne Smolar
Des corps post-humains.
"Heureusement que je suis née femme, sinon jaurais été une drag queen." Dolly Parton
La citation de la grande simulatrice8 quest Dolly Parton donne le ton de la suite de cette section où je proposerai un survol des représentations du phénomène du cyber-corps dun point de vue féministe.
Imaginons un instant un triptyque postmoderne: Dolly Parton avec son faux air de beauté sudiste (Southern Belle). A sa droite, ce chef-duvre de reconstruction en silicone quest Elizabeth Taylor, avec Michael Jackson en sosie de Peter Pan qui chuchote à côté delle. A la gauche de Dolly, Jane Fonda, la fétichiste hyperréelle du fitness, bien installée dans sa phase post-Barbarella en tant que dynamo majeure de létreinte cathodique planétaire de Ted Turner. Tel serait le Panthéon de la féminité postmoderne, live 24 heures sur 24 et nimporte où sur CNN, de Hong Kong à Sarajevo, disponible au bout de votre doigt. Linteractivité est un autre nom pour le shopping, comme le dit Christine Tamblyn9, et lidentité de genre hyper-réelle est ce quelle vend. Ces trois femmes emblématiques ont plusieurs traits en commun: dabord, elles habitent un corps posthumain, cest-à-dire un corps reconstruit artificiellement10. Ce corps est loin dêtre dessence biologique: il est plutôt au carrefour de forces intensives, il est une surface où sinscrivent des codes sociaux. Depuis que la génération poststructuraliste a repensé un moi non-essentialisé et incarné, nous avons pu nous habituer à la perte de sécurité ontologique qui accompagne le déclin du paradigme naturaliste. Comme la formulé Francis Barker11, la disparition du corps est le sommet du processus historique de dé-naturalisation. Subsiste alors le problème de savoir comment ajuster notre politique à ce changement. En conséquence, je suggère quil est plus adéquat de parler de notre corps en termes dincorporation, cest à dire de corps multiples ou densembles de positions incarnées. Embodiment signifie que nous sommes des sujets en situation, capables dexécuter des ensembles d(inter)actions discontinus dans lespace et le temps. La subjectivité incarnée, incorporée, constitue donc un paradoxe qui repose simultanément sur le déclin historique de la dichotomie corps/esprit et sur la prolifération de discours sur le corps. Foucault a reformulé cette situation comme suit: le paradoxe de la disparition simultanée et de la surexposition du corps. Bien que la technologie rende ce paradoxe manifeste et lillustre parfaitement, on ne peut prétendre quelle soit responsable dun tel changement de paradigme.
En dépit des dangers de la nostalgie évoqués plus haut, lespoir vit encore: nous pouvons toujours nous raccrocher à lintuition folle de Nietzsche lorsquil affirmait que Dieu était enfin mort et que lodeur de son corps pourrissant emplissait le cosmos. La mort de Dieu a mis du temps à venir et a provoqué un effet-domino, entraînant la chute dun certain nombre de notions familières. La sécurité que garantissait la distinction catégorique du corps et de lesprit; la foi sécurisante dans le rôle de lEtat-nation; la famille; lautorité masculine; léternel féminin et lhétérosexualité obligatoire. Ces vérités fondées sur une métaphysique se sont effondrées au profit de quelque chose de plus complexe, de plus ludique et de bien plus troublant. En tant que femme, donc en tant que sujet émergeant dune histoire doppression et dexclusion, je dirais que cette crise des valeurs conventionnelles est plutôt positive. En effet, le cadre de la métaphysique a imposé jusquà aujourdhui une conception institutionnelle de la féminité qui a accablé mon genre pendant des siècles. Pour les féministes, la crise de la modernité constitue une ouverture joyeuse vers de nouvelles possibilités, plutôt quune descente mélancolique dans le deuil et le déclin. Ainsi, lhyper-réalité de la condition posthumaine représentée de manière si sublime par Parton, Taylor et Fonda nexclut ni la politique ni la nécessité dune résistance politique: elle rend même plus nécessaire encore de travailler à une redéfinition de laction politique. Rien ne peut être plus éloigné dune éthique postmoderne que laffirmation citée à tort et à travers et profondément erronée de Dostoïevski selon laquelle, puisque Dieu est mort, tout est possible. Cest à ce défi que nous devons faire face: comment allier la reconnaissance de lincarnation (encorporation) postmoderne, à la résistance au relativisme et à la capitulation dans le cynisme.
Deuxièmement, les trois déesses cyborgs évoquées plus haut sont immensément riches parce quelles sont stars des médias. A notre époque postindustrielle, les flux financiers immatériels qui circulent sous la forme de données pures dans le cyber-espace avant datterrir dans (quelques) comptes bancaires sont essentiels. De plus, le capital sacharne contre les fluides corporels et en fait le commerce: la sueur et le sang bon marchés de la main-duvre facilement remplaçable, jetable du Tiers-Monde, mais aussi les désirs moites des consommateurs du Premier-Monde qui marchandisent leur existence en une stupeur sur-saturée. Lhyper-réalité nélimine pas les relations de classes: au contraire, elle les intensifie12. La postmodernité repose sur le paradoxe dune marchandisation et dun conformisme simultanés des cultures, tout en intensifiant leurs disparités ainsi que les inégalités structurelles. Lomnipotence des médias visuels constitue un aspect important de cette situation. Notre époque a transformé la visualisation en forme ultime de contrôle entre les mains des fétichistes de la transparence qui ont fait de CNN un verbe: "Jai été CNN-isé aujourdhui, pas toi?" Il sagit là non seulement de létape finale de la marchandisation du scopique, mais aussi du triomphe de la vue sur tous les autres sens.13 Ceci est particulièrement préoccupant dun point de vue féministe, car une hiérarchie des sens tend ainsi à se ré-établir qui privilégie la vue par rapport aux autres sens, en particulier le toucher et louïe. La primauté de la vue a été remise en question par les théories féministes. Sous linfluence de luvre féministe de Luce Irigaray et Kaja Silverman, lidée dexplorer les potentialités de louïe et des matériaux auditifs sest imposée en vue déchapper à la tyrannie du regard. Donna Haraway a des choses très intéressantes à dire à propos de lemprise logocentrique sur la vue désincarnée, emprise parfaitement illustrée par le satellite/il dans le ciel. Elle y oppose une redéfinition incarnée et donc responsable de lacte scopique en tant que forme de mise en relation avec lobjet du regard, et quelle définit en termes de "détachement passionné". Si vous examinez léventail des pratiques artistiques électroniques contemporaines, en particulier dans le domaine de la réalité virtuelle, vous pourrez apprécier bon nombre dartistes féminines, telles Catherine Richards et Nell Tenhaaf, qui utilise la technologie pour remettre en question lhypothèse de la supériorité visuelle quelle porte pourtant en elle. Troisièmement, les trois (sic) créatures emblématiques que jai choisies pour symboliser le corps postmoderne sont toutes blanches, particulièrement et paradoxalement Michael Jackson. Avec son intelligence perverse, larnaqueur hyperréel Jeff Koons (ex-époux de la Ciccioliona, star du porno italienne post-humaine) a représenté Jackson en dieu blanc immaculé de céramique portant un singe dans les bras. Avec panache, Koons a annoncé quil sagissait là dun hommage à la recherche de Michael Jackson dun corps toujours plus parfait. Les nombreuses interventions de chirurgie esthétique quil a subies illustrent la façon délibérée dont Jackson a sculpté et refait son moi. Dans une conception posthumaine du monde, les tentatives délibérées pour atteindre la perfection sont le complément de lévolution, conduisant le moi incorporé, incarné à un niveau plus élevé daccomplissement. La blancheur étant, dans la simplicité sublime de Koons, le critère incontesté et indépassable de la beauté, le statut de superstar de Jackson ne pouvait être représenté que par le blanc. Lhyperréalité nélimine pas le racisme: elle lintensifie et le conduit à limplosion.
Lun des aspects connexes de la racialisation des corps post-humains concerne les valeurs spécifiques à chaque ethnie quelle porte en elle. Nombreux sont ceux qui sinterrogent sur la mesure dans laquelle nous sommes en train dêtre recolonisés par une idéologie américaine, et plus spécialement californienne, du "body beautiful", du beau corps. Puisque les grandes firmes US possèdent la technologie, elles marquent de leur empreinte limaginaire contemporain; ce qui laisse peu de place à toute autre alternative culturelle. Ainsi, les trois emblèmes de la féminité postmoderne, dont le corps discursif est le sujet de ce texte, ne peuvent être quaméricains.
Une politique de la parodie.
Que faire face à une telle situation? Face à ces figures emblématiques dune hyperféminité blanche, hétérosexuelle, économiquement dominante, imposées par la culture et qui à la fois, rétablit les énormes différences de puissance tout en les niant?
La première chose que puisse faire une critique féministe consiste à reconnaître les apories et les aphasies des cadres théoriques, et à se tourner avec espoir vers les artistes (femmes). Il est indubitable que les esprits créatifs ont une longueur davance sur les virtuoses des méta-discours, même et spécialement sur les méta-discours déconstructionnistes. Voilà qui fait réfléchir: après des années darrogance théorique post-structuraliste, la philosophie se retrouve à la traîne de lart et de la littérature de fiction dans la course ardue avec le monde daujourdhui. Peut-être le moment est-il venu de modérer la pulsion théorique en nous et dessayer de nous confronter à notre contexte historique de façon différente.
Les féministes ont rapidement relevé le défi de trouver des réponses politiques et intellectuelles à cette crise de la théorie. Elles ont en majeure partie pris la forme dun "virage linguistique", cest-à-dire un glissement vers des styles de discours où limaginaire joue un plus grand rôle. Pour preuve, linsistance de la théorie féministe sur la nécessité de trouver de nouvelles "figurations", comme la formulé Donna Haraway, ou de nouvelles "fabulations", pour citer Marleen Barr, qui permettront dexprimer les formes différentes de subjectivité féminine qui se sont développées au sein du féminisme, ainsi que la lutte en cours aujourdhui avec le langage pour produire des représentations affirmatives des femmes.
Toutefois, le défi féministe nest aussi visible que dans le domaine de la pratique artistique. Par exemple, la force ironique, la violence à peine cachée et lesprit corrosif de groupes féministes tels que les Guerilla ou les Riot Girls illustrent un aspect important de la re-situation contemporaine de la culture et de la lutte pour la représentation. Je définirais leur position en termes dune politique de la parodie. Les Riot Girls affirment que nous sommes en guerre et que les femmes ne sont pas pacifistes: nous sommes les filles de la guerilla, les émeutières, les méchantes. Nous voulons mettre sur pied une forme de résistance active, mais nous voulons aussi nous amuser et agir à notre manière. Le nombre toujours croissant de femmes qui écrivent leurs propres science-fiction, cyberpunk, scénarios de films, magazines, musique rock ou rap, etc., témoigne de ce nouveau mode.
Celui-ci, tel quexposé par les Riot et Guerilla Girls, est clairement marqué par la violence, par quelque chose de direct, de cru, qui contraste brutalement avec le ton syncopé de la critique artistique classique. Ce style violent est une réponse à des forces sociales et environnementales hostiles. Il exprime aussi le besoin dun lien collectif par des rituels et des actes ritualisés, lesquels accentuent la singularité impénitente de lindividu au lieu de faire disparaître celui-ci dans le groupe. Jai trouvé une évocation puissante de cette position à la fois singulière et partagée collectivement dans le rythme tumultueux, démoniaque de In Memoriam to Identity14 de Kathy Acker, dans son don pour les devenirs multiples, son goût pour la réversibilité des situations et des personnages: sa capacité limite pour se faire passer pour d "autres", pour imiter ou "traverser" une infinité dautres. Comme bon nombre de théoriciennes féministes lont fait remarquer, la pratique de la parodie, que jappellerai aussi la "philosophie du comme si", avec ses répétitions ritualisées, doit avoir un fondement pour être politiquement efficace. Les revendications dun savoir féministe postmoderne trouvent leur fondement dans le vécu et, par conséquent, caractérisent les formes radicales de encorporations (réincarnations). Mais elles se doivent aussi dêtre dynamiques - ou nomades - et de permettre des déplacements et la multiplicité.
La pratique du "comme si" peut aussi dégénérer en un mode de représentation fétichiste. Celui-ci consiste à la fois en une reconnaissance et un déni de certains attributs ou de certains vécus. Dans la pensée postmoderne masculine15, le déni fétichiste semble caractériser la plupart des débats sur la différence sexuelle16. Je considère la théorie féministe comme un correctif à cette tendance. La philosophie féministe "du comme si" nest pas une forme de désaveu, mais bien laffirmation dun sujet à la fois non-essentialisé (cest à dire qui nest plus fondé sur lidée dune "nature" humaine ou féminine), mais apte à se faire agent éthique et moral. Comme nous en avertit lucidement Judith Butler, la puissance du mode parodique réside précisément en sa capacité à transformer la pratique des répétitions en une position porteuse dun pouvoir politique. En quoi la pratique théorique et politique du "comme si" est-elle porteuse de pouvoir? A mon avis, en ce quelle permet potentiellement douvrir des espaces où des formes daction féministe sont rendues possibles, et ce par des répétitions successives et des stratégies dimitation. En dautres termes, la parodie peut être porteuse de pouvoir politique à condition dêtre soutenue par une conscience critique qui vise à la subversion des codes dominants. Ainsi, jai pu défendre lidée17 que la stratégie de la "mimesis" chez Luce Irigaray est porteuse de pouvoir car elle touche simultanément à des questions didentité, didentifications et de subjectivité politique. Le mode ironique est une forme orchestrée de provocation et, en tant que telle, elle désigne une sorte de violence symbolique dont les Riot Girls sont les maîtresses incontestées.
Jen ai assez que la technologie de la Réalité Virtuelle et le cyberespace soient des jouets pour les garçons. La vue de hippies recyclés et vieillissants qui, nayant pu se débarrasser de leurs habitudes narcotiques des années 60, ont simplement décidé de faire de la vidéo et des ordinateurs de nouvelles drogues mamuse un peu et mennuie beaucoup. Il ne sagit là que de la transposition dun plaisir solipsiste en un autre. Moi, lune des Riot Girls, lune des méchantes, lune des vilaines, je veux mon propre imaginaire, mon propre moi projeté; je veux créer un monde à ma propre image glorifiée. Le moment est venu du mariage sacrilège de lAriane de Nietzsche et des puissances dyonisiaques; le moment est venu pour que le désir de mort féminin puisse sexprimer en créant des réseaux opérationnels qui traduiront le désir féminin en formes socialement négociables de comportement. Le moment est venu dune nouvelle donne entre lhistoire et linconscient.
La métaphore de la guerre est en train denvahir notre imaginaire culturel et social, de la musique rap au cyberespace. Prenons lexemple de la musique populaire. Dabord, il faut être conscient du déclin du rocknroll en tant que force politique subversive, déclin qui se manifeste dans deux phénomènes parallèles: lun est la résurrection de ce que jappelle le "rock gériatrique", cest à dire les retours sans cesse recommencés des Rolling Stones et autres reliques du "cock rock" des années 6018. A quand la retraite? Lautre phénomène est bien plus problématique: il sagit de lexploitation militaire du rocknroll par larmée américaine. Initié au Vietnam, lemploi du rocknroll comme arme dassaut sest perfectionné lors de lattaque contre Noriega au Panama19.
A présent, le rap a pris le relais et les images masculinistes bellicistes du "gangsta rap" ont envahi le rap. Mais il suffit découter le groupe de rap féminin SaltnPepper pour devoir remettre en question le lien inévitable entre musique subversive et masculinité agressive. Oui, les filles deviennent enragées; nous voulons nos cyber-rêves, nous voulons nos propres hallucinations et les partager. Gardez votre gore sanguinolent. Ce qui nous importe, cest de prendre possession du cyberespace afin de quitter le vieux cadavre pourrissant, séduit, enlevé et abandonné du patriarcat phallocentrique; les escadrons de la mort du phallus, le corps obsédé par largent, gonflé à la silicone de la phallocratie militante et de son autre féminin annexé et indexé. Les Riot Girls savent quelles peuvent faire mieux.
Lécriture créative dans le mode fictionnel est un autre exemple de politique de la parodie. A lépoque de la postmodernité, lécriture nest pas seulement un processus de traduction continuelle, mais aussi dadaptations successives à différentes réalités culturelles. Cette idée a été énergiquement soulignée par lécrivain vietnamo/californienne Trinh Minh Ha, laquelle a suivi la relecture par Deleuze des forces dyonisiaques de Nietzsche et parle "décriture en intensité". Ainsi, lécriture caractérise une forme intransitive du devenir: par exemple, le type de devenir qui intensifie le niveau de créativité joyeuse et de plaisir.
Lart de la performance chez Laurie Anderson est un exemple intéressant de devenir intransitif par un style parodique efficace. Maîtresse inégalée du mode "comme si" dexpression créative20, Laurie Anderson propose un univers conceptuel où les situations et les personnages sont toujours réversibles. Ce qui permet à Anderson de décrire un type high-tech de continuum entre différents niveaux dexpérience. Ce qui, à son tour, constitue son talent extraordinaire pour évoquer la complexité sur le mode minimaliste. Les interventions dans des espaces publics représentent également un aspect important de ce type de sensibilité artistique. Par exemple, les grands panneaux daffichage de Barbara Krueger sont placés stratégiquement à des carrefours importants au cur des métropoles du monde occidental. Ils clament bien haut que "Nous navons pas besoin de nouveau héros" 21 En ces temps de décadence post-industrielle de lespace urbain, des artistes comme Krueger parviennent à rendre à luvre dart la valeur monumentale qui était sa prérogative autrefois, tout en conservant sa nature politiquement engagée. De même, les panneaux électroniques de Jenny Holzer se détachent en clignotant du décor de nos cités envahies par la publicité pour transmettre des messages de sensibilisation très politisés: "Largent qui fait le goût", "la propriété a engendré le crime", "la torture est barbare", etc22. Holzer utilise aussi les espaces des aéroports, en particulier les panneaux dinformation au bord des tapis roulants à bagages, afin de transmettre ses messages percutants, tel "le manque de charisme peut entraîner la mort" ou, plus ironique, "si vous aviez bien agi, les communistes nexisteraient pas", "quel pays choisirez-vous si vous détestez les pauvres?". Krueger et Holzer illustrent parfaitement lappropriation postmoderne, intelligente et non-nostalgique des espaces urbains et publics dans un but créatif et politique. Dans leurs mains, la ville comme zone de transit, de passage, devient un texte, un espace signifiant, chargé de signes et de signaux qui indiquent une multitude de directions, auxquels lartiste ajoute les siens, plus inattendus et dérangeants. Les Guerilla Girls agissent de la sorte depuis des années, et avec grand talent.
Les espaces publics en tant que sites de créativité mettent en relief un paradoxe: ils sont à la fois chargés de signification et profondément anonymes; ce sont des espaces de passage et de détachement, mais aussi des lieux dinspiration, dintelligence visionnaire, qui engendrent une grande créativité. Loeuvre expérimentale de Brian Eno, "Music for airports" exprime avec force la même chose: ici aussi, lartiste sapproprie créativement le cur mort de ces zones un peu hallucinantes que sont les lieux publics.
Le pouvoir de lironie.
Lironie constitue lune des formes qua prises la pratique culturelle féministe du "comme si". Lironie est une saine dose de démystification/démythification appliquée systématiquement: cest dégonfler constamment, cest refroidir la surchauffe rhétorique. Une réponse possible à la nostalgie généralisée de la culture dominante ne peut se résumer, elle ne peut que se pratiquer:
Nulle fin de siècle spectaculaire pour nous, unités statistiques contemporaines. Nul retour théâtral à la lumière du jour. Nous sommes la génération anti-Lazare de lère post-chrétienne. Nul cri dalarme. Nulle larme. Les principes de la photocopie (la reproduction distraite et éternelle du Même) se sont substitués à lère tragique de la suspension esthétique. Walter Benjamin et Nietzsche, IBM et Rank-Xerox, main dans la main.
Assise dans une obscurité post-Becket, jai perdu mon dernier fragment de complétude. Jai eu limpulsion dattendre, dattendre que viennent les particules accélérées. Rien de bien tragique, juste la lumière de la raison, bleue et froide comme lacier qui nous réduit à linsignifiance. La vie comme un désir brûlant de retourner au non-être, une abnégation vivante. Lamour est mort dans Metropolis. Ma voix est sèche et séteint déjà. Ma peau devient parchemin, toujours plus rugueuse à chaque clic du cerveau digital. Le complot kafkaïen sinsinue dans mon dispositif génétique. Je serai bientôt un insecte géant et je mourrai après ma prochaine tentative de copulation.
Cest ainsi que finira le monde, mon amour doutre-tombe, pas sur un boum mais sur le murmure bourdonnant dinsectes qui rampent sur un mur. Les araignées aux longues pattes de mon mécontentement, mon cur: la joie dun cafard. S(t)imuler, dissimulation. Ils nont pu conserver une marge de négociation, nont jamais quitté la cible, jusquà nous déstabiliser, ramenant au centre la péiphérie, et le projectile en nous frappant nous fit perdre tout équilibre. Aphasiques. Si beau, toujours si beau quil me fit languir pour le dix-neuvième siècle, avant que Dieu ne meure. Cela devait être agréable de dire: "Dieu, cest vrai!" et de ne pas être tiraillé entre les probabilités.
Ce nest pas que je me préoccupe de la perte du narratif classique. Lyotard nous dit tout sur la modernité et la crise de la légitimation. Je ne minquiète pas de ne pas pouvoir me reposer sur un seul lambeau de cohérence discursive. Conceptuellement, cest plutôt une position stimulante, riche de potentiel étymologique, et pourtant je sais que: jai déjà donné pour tout ceci. Profond dans le cur du trou béant de mon cur je pleure la perte de la grandeur métaphysique, je pleure la mort de lamour divin. Le sublime me manque, tandis que nous plongeons tête la première dans le ridicule.
Oui, le monde aura une fin, mon ami post-Zarathoustrien. Il séteindra telle une bougie très courte. La mort est un art et il faut avoir un don pour cela. Et tu le fais exceptionnellement bien, tellement bien quon dirait lenfer, quon dirait que cest réel. Nous tuons le temps cest tout. Jespère que tu te tueras à temps. Capitulation inconditionnelle, o Hiroshima mon amour, mon Enola Gay très exclusive. Quel il immortel a attiré ta dissymétrie époustouflante? Quelle injection dangoisse post-heideggerienne, quelle fuite nucléaire mortelle ta traumatisé au point que tu sois dans un tel état d incompétence émotionnelle? Quand tes-tu transformé en une telle machine autiste, une collection de circuits non intégrés? Où ton désir de mort a-t-il été, mon compagnon de voyage post humain?
Nu, tu es un fil électrisant. A peine un moi, une entité, un individu dans nimporte quel vieux sens humaniste du terme. Heraclite revisité par Deleuze, tu personnalises le sujet moderne décapité. Tu tes déclaré pur devenir, mais tu étais juste un simple reflet, une image synthétique animée -uni- dimensionnelle et pourtant multi- fonctionnelle.
Est ce ainsi que lon doit lire les machines désirantes de Deleuze? Est ce vers cela que Lyotard se dirige? Et Baudrillard avec son hyper-réalité et son simulacre? Ou sagit il seulement de métaphores complexes de la faillite métabolique que nous traversons? Tous ces discours nécrophiles me rendent évidemment nerveuse et si vous aviez mon cerveau vous seriez nerveux aussi. Je suis un humain, sexué, être mortel de sexe féminin, doté Le pouvoir de lironie.
Lironie constitue lune des formes qua prises la pratique culturelle féministe du "comme si". Lironie est une saine dose de démystification/démythification appliquée systématiquement: cest dégonfler constamment, cest refroidir la surchauffe rhétorique. Une réponse possible à la nostalgie généralisée de la culture dominante ne peut se résumer, elle ne peut que se pratiquer:
Nulle fin de siècle spectaculaire pour nous, unités statistiques contemporaines. Nul retour théâtral à la lumière du jour. Nous sommes la génération anti-Lazare de lère post-chrétienne. Nul cri dalarme. Nulle larme. Les principes de la photocopie (la reproduction distraite et éternelle du Même) se sont substitués à lère tragique de la suspension esthétique. Walter Benjamin et Nietzsche, IBM et Rank-Xerox, main dans la main.
Assise dans une obscurité post-Becket, jai perdu mon dernier fragment de complétude. Jai eu limpulsion dattendre, dattendre que viennent les particules accélérées. Rien de bien tragique, juste la lumière de la raison, bleue et froide comme lacier qui nous réduit à linsignifiance. La vie comme un désir brûlant de retourner au non-être, une abnégation vivante. Lamour est mort dans Metropolis. Ma voix est sèche et séteint déjà. Ma peau devient parchemin, toujours plus rugueuse à chaque clic du cerveau digital. Le complot kafkaïen sinsinue dans mon dispositif génétique. Je serai bientôt un insecte géant et je mourrai après ma prochaine tentative de copulation.
Cest ainsi que finira le monde, mon amour doutre-tombe, pas sur un boum mais sur le murmure bourdonnant dinsectes qui rampent sur un mur. Les araignées aux longues pattes de mon mécontentement, mon cur: la joie dun cafard. S(t)imuler, dissimulation. Ils nont pu conserver une marge de négociation, nont jamais quitté la cible, jusquà nous déstabiliser, ramenant au centre la péiphérie, et le projectile en nous frappant nous fit perdre tout équilibre. Aphasiques. Si beau, toujours si beau quil me fit languir pour le dix-neuvième siècle, avant que Dieu ne meure. Cela devait être agréable de dire: "Dieu, cest vrai!" et de ne pas être tiraillé entre les probabilités.
Ce nest pas que je me préoccupe de la perte du narratif classique. Lyotard nous dit tout sur la modernité et la crise de la légitimation. Je ne minquiète pas de ne pas pouvoir me reposer sur un seul lambeau de cohérence discursive. Conceptuellement, cest plutôt une position stimulante, riche de potentiel étymologique, et pourtant je sais que: jai déjà donné pour tout ceci. Profond dans le cur du trou béant de mon cur je pleure la perte de la grandeur métaphysique, je pleure la mort de lamour divin. Le sublime me manque, tandis que nous plongeons tête la première dans le ridicule.
Oui, le monde aura une fin, mon ami post-Zarathoustrien. Il séteindra telle une bougie très courte. La mort est un art et il faut avoir un don pour cela. Et tu le fais exceptionnellement bien, tellement bien quon dirait lenfer, quon dirait que cest réel. Nous tuons le temps cest tout. Jespère que tu te tueras à temps. Capitulation inconditionnelle, o Hiroshima mon amour, mon Enola Gay très exclusive. Quel il immortel a attiré ta dissymétrie époustouflante? Quelle injection dangoisse post-heideggerienne, quelle fuite nucléaire mortelle ta traumatisé au point que tu sois dans un tel état d incompétence émotionnelle? Quand tes-tu transformé en une telle machine autiste, une collection de circuits non intégrés? Où ton désir de mort a-t-il été, mon compagnon de voyage post humain?
Nu, tu es un fil électrisant. A peine un moi, une entité, un individu dans nimporte quel vieux sens humaniste du terme. Heraclite revisité par Deleuze, tu personnalises le sujet moderne décapité. Tu tes déclaré pur devenir, mais tu étais juste un simple reflet, une image synthétique animée -uni- dimensionnelle et pourtant multi- fonctionnelle.
Est ce ainsi que lon doit lire les machines désirantes de Deleuze? Est ce vers cela que Lyotard se dirige? Et Baudrillard avec son hyper-réalité et son simulacre? Ou sagit il seulement de métaphores complexes de la faillite métabolique que nous traversons? Tous ces discours nécrophiles me rendent évidemment nerveuse et si vous aviez mon cerveau vous seriez nerveux aussi. Je suis un humain, sexué, être mortel de sexe féminin, doté de langage. Appelez moi juste- femme.
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last modified: 02/11/2001 @ 06:43
Category : book
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