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fr:3/ Le cyberféminisme différemment.

ref:
Cyberfeminism With A Difference
Rosi Braidotti
www.let.ruu.nl/womens_studies/rosi/cyberfem.htm
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Rosi Braidotti
traduction Yves Cantraine, Anne Smolar




Regards féministes sur la science fiction

La situation difficile du post humain implique le brouillage des frontières des genres. Pourtant, ceci n’avantage pas toujours les femmes. De nombreuses féministes se sont tournées simultanément vers l’écriture et la lecture de science fiction afin d’essayer d’évaluer l’impact du nouveau monde technologique sur la représentation de la différence sexuelle. Tous les adeptes savent que la science fiction se rapporte à des fantasmes qui concernent le corps, plus particulièrement la fonction reproductrice du corps. La science fiction offre des systèmes alternatifs de reproduction et de naissance, qui vont de l’image plutôt enfantine de bébés nés dans des choux-fleurs, à des naissances monstrueuses par d’innomables orifices. Ceci donnant naissance à ce que Barbara Creed définit comme le syndrome du féminin monstrueux.23 Ainsi ce n’est pas une coïncidence si dans Alien, un classique du genre, l’ordinateur central contrôlant le vaisseau spatial est appelé "Mère" et qu’il soit vicieux, particulièrement vis à vis de l’héroïne (Sigourney Weaver). Dans ce film la fonction maternelle est déplacée: elle se reproduit comme un insecte monstrueux en déposant des œufs dans les estomacs des gens, par le biais d’un acte de pénétration phallique au travers de la bouche. Le film regorge également de scènes d’éjection de plus petits vaisseaux ou avions du monstrueux et hostile engin spatial matriarcal. Mère est une toute puissante force génératrice, pré-phallique et malfaisante: elle est une abysse non représentable de laquelle provient toute vie et mort.

Dans la lignée des analyses critiques féministes de la science fiction, je soutiens que les films de science fiction d’épouvante jouent avec les anxiétés mâles fondamentales et les déplacent en inventant une théorie de la reproduction, ce qui a pour conséquence la manipulation de l’image du corps féminin. Selon Julia Kristeva, le côté "horreur" de ces films joue sur une fonction "maternelle" déplacée et fantasmée, comme détenant simultanément la clé des origines de la vie et de la mort. Exactement comme la tête de la Méduse, l’horrible femelle peut être conquise en étant transformée en emblème, c’est-à-dire en devenant fétichisée.24

Certaines des formes de procréation post humaine qui sont explorées dans les films de science/fiction sont: le clonage (The Boys from Brazil); la parthénogenèse (The Gremlins). Un autre thème consiste à faire féconder les femmes par les aliens, comme dans le classique des années 50 ‘I married a monster from outer space’, ‘Village of the Damned’, et les drames psychologiques tels que Rosemary’s Baby. La production de l’humain en tant que machine est aussi assez populaire; (Inseminoid, The Man Who Folded Himself), ce qui implique des rapports femme/machine (comme une variation femme/diable) (Demon Seed, Inseminoid). En fait, Spielberg est le maître des fantasmes mâle-naissance. Le film Indiana Jones en est l’exemple parfait: il n’y a pas de mère en vue, jamais, mais Dieu le père est omniprésent. La série qu’il a produite, Back to the Future, traite de manière totale et prolongée le fantasme du garçon adolescent d’être à l’origine de sa propre existence. Modleski fait remarquer que dans la culture contemporaine il est évident que les hommes flirtent définitivement avec l’idée d’avoir eux-mêmes des bébés. Ils le font de manière assez naïve, notamment en expérimentant des formes sociales nouvelles et bien sûr positives de nouvelle paternité.25

A l’époque postmoderne, cette anxiété mâle au sujet du père absent doit toutefois être lue parallèlement aux nouvelles technologies de reproduction. La femme est remplacée par l’appareil technologique- la machine- dans une version contemporaine du mythe de Pygmalion, une sorte de "My Fair Lady" high-tech.26

Si on observe la reconstruction contemporaine de la féminité et de la masculinité au travers de la culture des médias, on ne peut s’empêcher d’être frappé par son manque d’inspiration. Prenons par exemple la masculinité à la mode soit de Cameron-Schwarzenegger ou de Cronenberg. Cameron et Cronenberg sont les grand reconstructeurs du sujet masculin post humain. Ils représentent deux courant opposés: Cameron plonge profondément dans ce que Nancy Hartsock appelle "la masculinité abstraite" en proposant un corps masculin hyperréaliste au format Schwarzenegger. Cronenberg, au contraire, fait exploser la masculinité phallique dans deux directions divergentes: d’un côté le tueur en série psychopathe et de l’autre la névrose hystérique du mâle sur-féminisé. La dernière est aussi célébrée par les intellectuels Arthur et Marielouise Kroker établis à Toronto.

Dans le cyber-punk, le thème de la mort et le rituel de la mise en terre du corps est tellement omniprésent qu’il se substitue au facteur de procréation. Nous savons tous à quel point la culture cyber-punk est dominée par la masculinité, si bien que dire qu’elle reflète les fantasmes masculins et plus particulièrement le désir de mort masculin, serait bien en dessous de la vérité. Le cyber-punk rêve de la dissolution du corps dans la matrice (comme dans la "mater" ou la matrice cosmique ), dans ce qui m’apparaît être le retour climactique final d’un petit garçon dans le récipient organique et en perpétuelle expansion de Big Mama. Je trouve de telles images du cosmos très bâclées, littéralement, mais aussi vraiment essentielles dans leur manière de dresser le portrait de la force cosmique de la mère archaïque en tant que tout puissant récipient des forces de vie et de mort. La différence sexuelle comprise en tant que dissymétrie a une fois de plus pour résultat différentes positions sur le sujet de la mère archaïque. Nous, les riot girls, qui avons été persécutées, harcelées et oppressées par Big Mama toute notre vie; nous qui avons dû résister à Mama et la chasser hors des noirs replis de notre psychisme, nous avons une toute autre histoire à raconter. La fameuse recommandation formelle de Virginia Woolf selon laquelle la femme créative a besoin de tuer "l’ange dans la maison" qui habite les couches les plus anciennes de son identité est tout à fait fondée. Il s’agit de l’image de la douce femme bienveillante, nourricière, qui se sacrifie, qui se met en travers de sa propre réalisation. On ne peut pas attendre des femmes qu’elles partagent aussi facilement le fantasme du retour à la matrice, au contraire, nous voulons en sortir, et vite. Nous, les riot girls voulons nos propres rêves de dissolution cosmique, nous voulons notre propre dimension transcendantale. Gardez vos propres rêves de matrices: votre désir de mort n’est pas notre désir de mort, vous feriez mieux de nous laisser l’espace et le temps pour développer et exprimer mes propres désirs, sinon nous nous fâcherons pour de bon. La colère nous poussera à vous punir en décidant de réaliser, dans nos vies quotidiennes réelles, vos pires fantasmes de femmes odieuses. Comme disait cette autre grande simulatrice, Bette Midler: "Je suis tout ce que tu avais peur que ta petite fille soit en grandissant- et ton petit garçon!"

En d’autres termes, en tant que femme féministe qui a pris ses distances avec la féminité traditionnelle et qui a donné naissance à de nouvelles formes de subjectivité, une riot girl sait utiliser à bon escient la politique de la parodie/ elle peut incarner l’identité, la féminitude à sa manière extrême et extrêmement agaçante. Afin d’éviter de telles explosions de colère de femme féministe nous devrions prendre le temps d’en discuter pour négocier les marges de tolérance mutuelle.


Le cyber-imaginaire

Tandis que ce genre de négociation prend place, la discrimination entre les hommes et les femmes quant à l’utilisation des ordinateurs, l’accès au savoir informatique, à l’équipement internet et à d’autres équipements technologiques coûteux, ainsi que leur participation à la conception et au développement des technologies augmentera de plus en plus. De la même façon, le fossé entre le monde industrialisé et le tiers monde en termes d’accès aux technologies s’élargira aussi. C’est toujours aux époques de grands progrès technologiques que la culture occidentale réitère certaines de ses habitudes les plus persistantes, notamment la tendance à produire de la différence et à l’organiser hiérarchiquement.

Ainsi, tandis que l’informatique semble faire la promesse d’un monde au-delà des différences sexuelles le fossé entre les sexes s’élargit. Tout ce bavardage autour d’un monde télématique neuf masque l’augmentation continue de la polarisation des ressources et des moyens, dont les femmes sont les principales victimes. Ce qui donne à penser que le changement des frontières conventionnelles entre les sexes et la prolifération de toutes sortes de différences par le biais des nouvelles technologies ne seront pas aussi libérateurs que ce que veulent nous faire croire les fanatiques d’internet et les cyber-artistes. Dans l’analyse de la cyber-imagination contemporaine, la production culturelle qui entoure les technologies de réalité virtuelle se caractérise par un réel conçu par ordinateur particulièrement avancé, utile dans ses applications médicales et architecturales, mais très pauvre sous l’angle de l’imagination, plus spécifiquement si on la considére en terme de rôles sexuels. Le dessin assisté par ordinateur et l’animation ont un potentiel de grande créativité, pas uniquement dans des secteurs professionnels tels que l’architecture et la médecine, mais aussi dans la culture des loisirs, plus particulièrement dans les jeux vidéo. Ils trouvent leur source dans la technologie d’apprentissage des pilotes d’ avions de combat. La guerre du Golfe a été menée par de la machinerie de réalité virtuelle (cela n’a pas empêché la boucherie habituelle). Dernièrement, le coût de la production d’équipement de réalité virtuelle a baissé, à tel point que d’autres personnes que la NASA peuvent y avoir accès.

Les chercheuses féministes dans ce domaine ont remarqué les paradoxes et les dangers des formes contemporaines d’acorporalité, qui accompagnent ces nouvelles technologies. Je suis particulièrement frappée par la persistance des images pornographiques, violentes et humiliantes, de femmes qui circulent dans ces soi-disant "nouveaux" produits technologiques. La conception de programmes qui permettent "le viol virtuel et le meurtre virtuel" est spécialement inquiétantes. Par exemple le Lawn Mower Man est un des films grand public qui comporte des images de "réalité virtuelle", qui sont en fait seulement des images numériques. Je trouve qu’il fait un usage très médiocre d’ images fortes. Le sujet du film est le suivant: un savant travaillant pour la NASA a inventé des technologies très avancées pour manipuler l’esprit, il utilise d’abord un chimpanzé comme objet d’expériences scientifiques qu’il remplace ensuite par un handicapé mental, dont le cerveau "grandit" grâce à cette nouvelle technologie.

Les images de pénétration du cerveau sont cruciales pour l’impact visuel du film: il s’agit uniquement "de s’ouvrir" à l’influence d’une puissance plus grande. On peut comparer ceci aux corps masculin invaginé de Cronenberg, pénétrés par les radiations du tube cathodique de Videodrome et plus récemment à l’implant cervical dans Johnny Memonic. Grâce à cette technologie, l’homme retardé s’épanouit d’abord en un garçon normal, puis se transforme en un personnage surhumain. La reconstruction de la masculinité dans ce film montre l’évolution suivante: idiot/petit garçon/adolescent/cow-boy/qui perd sa virginité/amant terrible/macho/violeur/assassin/tueur en série/psychopathe. Le film questionne implicitement l’interaction de la sexualité et des technologies, toutes deux en tant que formes de pouvoir masculin et masturbatoire. A un stade intermédiaire de son développement, il revendique qu’il peut voir Dieu et il veut partager cette expérience avec sa copine, afin de lui procurer l’orgasme ultime. Ce qui suit est une scène de viol psychique, où la femme est littéralement explosée et perd la tête. A partir de là, la femme sera folle, tandis que le garçon progresse et devient une figure quasi divine, un tueur en série, et finalement une force de la nature. Par conséquent tandis que l’esprit masculin voit puis devient Dieu, celui de la femme est simplement montré en train de craquer sous la pression.

Face à cela, une féministe ne peut s’empêcher d’être frappée par la persistance des stéréotypes sexuels et des tendances misogynes. Le prétendu triomphe des hautes technologies ne s’est pas accompagné d’un saut de l’imagination humaine qui créerait de nouvelles images et représentations. Au contraire, ce que je remarque c’est la répétition de très vieux thèmes et de clichés, sous l’apparence de "nouvelles" avancées technologiques. Ce qui prouve simplement qu’il faut plus que des machines pour vraiment transformer les schémas de pensée et les habitudes mentales. La fiction de la science qui est le thème des films et de la littérature de science fiction, doit faire appel à plus d’imagination et plus d’égalité entre les sexes afin de s’approprier une "nouvelle" représentation d’une humanité post-moderne. A moins que notre culture relève le défi et invente de nouvelles formes d’expression appropriées, cette technologie est inutile. Une des grandes contradictions des images virtuelles est qu’elles émoustillent notre imagination, promettant les monts et merveilles d’un monde libéré des questions de genre quand simultanément il reproduit quelques-unes des images plates, les plus banales imaginables de l’identité sexuelle, mais aussi des relations sociales et raciales. Les images virtuelles titillent aussi notre imagination, à la manière de la représentation dans la pornographie. L’imagination est un espace très connoté sexuellement et l’imagination de la femme, comme l’a dit la théoricienne féministe du cinéma Doane, a toujours été représentée comme une embarrassante et dangereuse qualité.27 La pauvreté imaginaire de la réalité virtuelle est encore plus frappante si on la compare à la créativité de certaines des artistes femmes que j’ai évoqué plutôt. Par comparaison, la banalité, le sexisme, la nature répétitive des jeux vidéos conçus par ordinateur sont tout à fait consternantes. Comme d’habitude, à une époque de grands changements et bouleversements, le potentiel de la "nouveauté" engendre de grandes peurs, de l’anxiété et dans certains cas même de la nostalgie pour le régime précédent. Comme si la misère imaginaire ne suffisait pas, la post-modernité est caractérisée par un impact très étendu et par une invasion qualitative de la pornographie dans toutes les sphères d’activité culturelle. La pornographie parle de plus en plus des relations de pouvoir et de moins en moins de sexe. Dans la pornographie classique le sexe était un véhicule pour les relations de pouvoir.

De nos jours n’importe quoi peut leur servir de véhicule: la culture en devenir de la pornographie montre que n’importe quelle activité ou produit culturel peut devenir une matière première et au travers de ce processus exprimer des inégalités, des schémas d’exclusion, des fantasmes de domination, des désirs de pouvoir et de domination.28 Le point central reste qu’il y a un écueil de crédibilité entre les promesses de la Réalité virtuelle, du cyberespace, et la qualité de ce qu’ils offrent. Par conséquent il me semble qu’à court terme cette nouvelle frontière technologique va intensifier l’écart entre les sexes et augmenter leur polarisation. Nous sommes revenus à la métaphore guerrière, mais elle prend place dans le monde réel, pas dans l’hyper-espace de la masculinité abstraite. Et ses protagonistes ne sont pas des images numériques, mais les agents sociaux réels des contextes urbains post-industriels.

La stratégie la plus efficace pour les femmes consisterait à utiliser la technologie pour libérer notre imagination collective du phallus et de ses valeurs accessoires: l’argent, l’exclusion, la domination, le nationalisme, la féminité iconique et la violence systématique.


Le besoin de nouvelles utopies

Un bond qualitatif est aussi nécessaire, néanmoins, vers l’affirmation de la différence sexuelle en termes de reconnaissance de la relation dissymétrique entre les sexes. Les féministes ont rejeté la tendance universalisante qui consiste à confondre le point de vue masculin avec l’ "humain", confinant par là le "féminin" à la position structurelle de "l’autre" dévalorisé. Cette division du travail social et symbolique signifie que le fardeau de la différence dévalorisée repose sur certains référents empiriques qui peuvent être définis en opposition à la norme dominante comme: non-homme, non-blanc, non-propriétaire, ne s’exprimant pas dans une langue dominante, etc…

Cette organisation hiérarchique des différences est la clé du phallologocentrisme, qui est le système interne des sociétés patriarcales. Dans ce système, les femmes et les hommes sont dans des positions diamétralement différentes: les hommes sont réunis par la position universelle et par conséquent sont confinés à ce que Hartsock définit comme une "masculinité abstraite". Les femmes, au contraire, sont coincées par la spécificité de leur sexe comme étant le "second sexe". Comme l’observait de Beauvoir: le prix que les hommes payent pour représenter l’universel est la perte de la corporalité, ou la perte de spécificité sexuée dans l’abstraction de la masculinité phallique. Le prix à payer pour les femmes, par contre, est la perte de la subjectivité au travers de la surcorporalité et le confinement à leur identité sexuée. Ce qui mène à deux positions dissymétriques et produit deux stratégies politiques divergentes quant il s’agit de chercher des alternatives. Les parcours du masculin et du féminin pour transcender le contrat phallogocentrique socio-symbolique différent considérablement. Alors que les femmes ont besoin de se réapproprier la subjectivité en réduisant leur aliénation au corps, en posant la question de la déconstruction du corps, les hommes par contre ont besoin de reprendre possession de leur moi physique abstrait en perdant certains de leurs droits exclusifs à la connaissance transcendantale. Les hommes ont besoin d’être corporalisés, de devenir réalistes, de souffrir la douleur de l’inscription dans un corps, c’est à dire de l’incarnation.

Un exemple splendide de ce processus est la chute des anges des hauteurs excessives du ciel de Berlin dans le film de Wim Wenders: Der Himmel über Berlin. Lorsque les anges choisissent le chemin de l’incarnation, la douleur qui en résulte est rendue avec une grande sensibilité. Dans sa lecture assez spirituelle de l’angoisse Teutonique du film, bell hooks a astucieusement observé la nature spécifiquement culturelle d’un tel exercice.29 Elle montre très justement le caractère typiquement occidental de l’envol du corps hors du corps et de la création apparentée de la masculinité abstraite en tant que système de domination d’"autres" multiples. Dans son compte-rendu également spécifiquement culturel sur le besoin d’une révision du contrat phallogocentrique socio-symbolique (sic). Néanmoins, Julia Kristeva insiste sur le besoin d’une redéfinition de la place du corps de la femme dans ce système. J’aimerais indiquer par conséquent qu’il est capital de ne pas oublier dans le contexte d’une discussion sur le cyber-espace que la dernière chose dont nous ayons besoin à ce stade de l’histoire occidentale est un renouvellement du vieux mythe de la transcendance en tant qu’envolée hors de son corps. Comme le dit Linda Dement: un petit peu moins d’abstraction serait souhaitée.30 La transcendance en tant que décorporation reproduirait simplement le modèle patriarcal classique, qui a consolidé la masculinité en tant qu’abstraction rendant par conséquent indispensable les catégories sociales des "autres incarnés". Ce serait une négation de la différence sexuelle comprise comme dissymétrie de base entre les sexes.

Dans le projet d’exploration de la dissymétrie entre les sexes, je voudrais insister fortement sur l’importance du langage, plus particulièrement en lumière de la théorie psychanalytique. Par ce moyen, je veux aussi prendre mes distances avec la psychologie simpliste et le cartésianisme réducteur qui dominent tant la littérature cyberpunk que la technologie du cyberespace. Par opposition à celles-ci, j’aimerais insister sur le fait que la Femme n’est pas uniquement l’autre objectifié du patriarcat, lié à lui par négation. En tant que base pour l’identité féminine, la Femme signifiante se rattache aussi et simultanément à une marge de dissidence et de résistance à l’identité patriarcale. J’ai avancé ailleurs que le projet féministe intervient à la fois au niveau de l’action historique -à savoir la question de l’insertion des femmes dans l’histoire patriarcale-, de l’identité individuelle et de la politique du désir. Ainsi cela couvre à la fois les niveaux du conscient et de l’inconscient. Cette approche déconstructive de la féminité est très fortement présente dans la politique de la parodie que j’ai défendue plus haut. Les femmes féministes qui continuent à fonctionner dans la société en tant que sujets féminins en ces jours post-métaphysiques de déclin des dichotomies sexuelles, se comportent "comme si" la Femme était encore leur position. Toutefois, en agissant ainsi, elles traitent la féminité comme une option, une série de poses disponibles, une série de costumes riches en histoire et en relations de pouvoir social, mais plus de manière ni figée, ni forcée. Elles défendent et déconstruisent simultanément la Femme en tant que pratique signifiante.

Mon idée est que le neuf est créé en revisitant et en mettant le feu au vieux. Pareillement au repas totémique de Freud, on doit assimiler ce qui est mort avant de pouvoir aller vers un ordre nouveau. La solution peut être trouvée par répétition mimétique et consommation de l’ancien. Nous avons besoin de rituels de mise en terre et de deuil pour les morts, en incluant plus particulièrement le rituel de la mise en terre de la Femme qui était. Nous avons besoin de dire adieu à ce second sexe, cet éternel féminin qui colle à nos peaux comme un matériau toxique, brûlant dans notre moelle osseuse, dévorant notre substance. Collectivement, nous devons prendre le temps de faire le deuil du vieux contrat socio-symbolique et de cette façon imposer le besoin d’un changement d’intensité, un changement de tempo. A moins que les féministes ne négocient avec l’historicité de ce changement temporel, les grandes avancées faites par le féminisme vers l’émancipation de formes alternatives de la subjectivité féminine n’auront pas le temps d’arriver à la réalisation sociale.

La réponse au métaphysique est le métabolisme, c’est à dire un nouveau devenir incorporé, un changement de perspective qui permet aux individus de définir leur rythme et leur niveau de changement tout en cherchant des formes sociales réalisables de consensus afin de réajuster notre culture à ces modifications et changements. Kathy Acker dans son texte splendide In Memoriam to Identity, fait remarquer que tant que "je" a son identité et son sexe, "je" n’est rien de neuf. J’ajouterais aussi que tant que l’on croit en la grammaire, on croit en Dieu. Dans la modernité, Dieu est mort et bien que la puanteur de son corps pourrissant se soit répandue dans le monde occidental depuis plus d’un siècle, il faudra plus que des expériences hystériques avec de mauvaises syntaxes ou le fantasme solipsistique des virées pour nous sortir collectivement de sa folie phallocentrique en déclin mais néanmoins toujours opérationnelle. Nous avons plutôt besoin de plus de complexité, de multiplicité, de simultanéité et nous devons repenser le genre, la classe et la race dans notre poursuite de ces multiples et complexes différences. Je pense aussi que nous avons besoin de douceur, de compassion et d’humour pour nous extirper des ruptures et des extases de notre époque. L’ironie et l’autodérision sont des éléments importants de ce projet et ils sont nécessaires à son succès, comme l’ont fait remarquer des féministes aussi diverses que Hélène Cixous ou French & Saunders. Le manifeste des Bad Girls le proclame: "Par le biais du rire notre colère devient un outil de libération". Dans l’espoir que notre rire Dionysiaque collectif l’enterrera vraiment une bonne fois pour toutes, le cyber-féminisme a besoin d’entretenir une culture de joie et d’affirmation. Dans leur recherche de justice socio-symbolique, les femmes féministes ont une longue histoire de danse dans des champs de mines potentiellement meurtriers. De nos jours, les femmes doivent entreprendre la danse au travers du cyberespace, ne fût-ce que pour être certaines que les joy-sticks des cow-boys du cyberespace ne reproduisent pas la phallicité univoque sous le masque de la multiplicité, et aussi pour s’assurer que les riot girls, dans leur colère et leur passion visionnaire, ne recréeront pas la loi et l’ordre sous le prétexte d’un féminin triomphant.

Note: Traduction d'"embodiment": littéralement être en corps, prendre corps, sera traduit ici selon le contexte par incarnation (incarner: 1372; a.fr encharnerre fait sur le lat.ecl. incarnare: revêtir (un être spirituel) d'un corps charnel, d'une forme humaine ou animal- in Le Petit Robert), incorporation (incorporer: 1411; encorporer fin XIIe siècle; bas. lat incorporare, de corpus "corps" - in Le Petit Robert), en-corporation.

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last modified: 01/11/2001 @ 11:17
Category : book

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