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fr: 6/Un Manifeste Cyborg: Science, Technologie et Feminisme Socialiste à la fin du XXème Siècle

ref:

Simians, Cyborgs and Women

Free Associations Books

London
1991

www.stanford.edu/dept/HPS/Haraway/CyborgManifesto.htm

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by Donna J. Haraway


traduction Anne Smolar, Séverine Dusollier


LES CYBORGS : UN MYTHE D’IDENTITE POLITIQUE



Je voudrais conclure avec un mythe où il est question d’identité et des limites qui pourraient informer l’imaginaire politique de la fin du vingtième sciècle. Je suis redevable sur ce point à des écrivains tels que Joanna Russ, Samuel R. Delany, John Varley, James Tiptree, Jr, Octavia Butler, Monique Wittig, et Vonda McIntyre . Ce sont nos conteurs qui explorent la signification de l’incorporation dans nos mondes high-tech. Ce sont des théoriciennes(-iens) des cyborgs. Explorant les conceptions des limites corporelles et de l’ordre social, l’anthropologiste Mary Douglas (1966, 1970) devrait être créditée pour nous avoir aidés à prendre conscience à quel point l’imagerie du corps est fondamentale à la vision du monde, et donc au langage politique .

Des féministes françaises telles que Luce Irigaray et Monique Wittig, bien que fort différentes, savent comment écrire le corps ; comment tisser l’érotisme, la cosmologie et les politiques de l’imagerie de l’en-corporation et surtout pour Wittig, de l’imagerie de la fragmentation et de la reconstitution des corps .

Des féministes américaines radicales comme Susan Griffin, Audre Lorde et Adrienne Rich ont profondément affecté notre imagination politique - et peut-être ont excessivement limité ce que nous acceptons comme un corps ami et un langage politique . Elles insistent sur l’organique, par opposition au technologique. Mais leurs systèmes symboliques et les situations apparentées de l’écoféminisme et du paganisme féministe, remplies d’organicismes, peuvent seulement être comprises dans les termes de Sandoval comme des idéologies oppositionnelles convenant à la fin du vingtième siècle. Elles devraient déconcerter quiconque n’est pas préoccupé par les machines et la conscience du capitalisme avancé. A ce titre elles font partie du monde cyborg. Mais il y a aussi de grandes possibilités pour les féministes pour explorer explicitement les possibilités inhérentes à la rupture de la distinction claire entre organisme et machine et les distinctions similaires qui structurent l’identité occidentale. C’est la simultanéité des ruptures qui déchiffre les matrices de la domination et ouvre des possibilités géométriques. Que peut nous apprendre la pollution " technologique " politique et personnelle ? En bref j’y vois deux groupes de textes qui se recoupent quant à leur apport à la construction d’un mythe cyborg potentiellement utile : celui de la construction de femmes de couleur et d’identités monstrueuses dans la science fiction féministe.

Je suggérais précédemment que " femmes de couleur " pourrait être compris comme une identité cyborg, une subjectivité puissante synthétisée par la fusion d’identitées marginales et au travers de la superposition complexe des couches historiques-politiques de sa " biomythographie ", Zami (Lorde, 1982; King, 1987a, 1987b). Il existe des grilles matérielles et culturelles qui cartographient ce potentiel, Audre Lodre (1984) donne le ton dans son titre de Sister Outsider (Sœur d’Ailleurs). Dans mon mythe politique, Sister Outsider est la femme au-delà du territoire national, que les travailleurs US, femmes et féminisés, sont supposés considérer comme l’ennemi empêchant leur solidarité, menacant leur sécurité. Sur place, à l’intérieur des frontières des Etats Unis, Sister Outsider représente un potentiel parmi les races et les identités ethniques de femmes manipulées pour être divisées, mises en situation de concurrence et exploitées dans les mêmes industries. " Les femmes de couleur " sont la force de travail préférée des industries du secteur scientifique, la femme réelle pour qui le marché mondial sexuel, le marché du travail et les politiques de reproductions se répercutent directement dans la vie quotidienne. Les jeunes femmes Coréennes embauchées dans l’industrie du sexe et dans l’assemblage électronique sont recrutées dans des lycées, éduquées pour le circuit intégré. L’alphabétisme, surtout au niveau de l’anglais, constitue un attrait pour les multinationales et caractérise cette main d’oeuvre féminine " bon marché ".

Contrairement aux stéréotypes orientalistes du " primitif oral ", l’alpabétisme est un signe particulier des femmes de couleurs, acquis par des femmes noires américaines aussi bien que par des hommes. Apprendre ou enseigner la lecture et l’écriture était puni de la peine de mort. L’écriture revêt un sens spécial pour tous les groupes colonisés. L’écriture a un rôle essentiel dans le mythe occidental de la distinction entre les cultures orales et écrites, entre mentalités primitives et civilisées et plus récemment dans l’érosion de cette distinction dans les théories " postmodernes " qui attaquent le phallogocentrisme de l’occident, et son attachement à l’oeuvre monothéiste, phallique, autoritaire et singulière, au nom unique et parfait . Les contestations des significations de l’écriture sont une forme majeure de lutte politique contemporaine. Il est terriblement important de libérer le jeu de l’écriture. Dans la poésie et les histoires des femmes de couleur américaine, il est très souvent question de l’écriture, de l’accès au pouvoir de signifier ; mais cette fois ce pouvoir ne doit être ni phallique ni innocent. Dans l’écrit cyborg il ne doit pas être question de la Chute, de l’imagination d’une entité antérieure au langage, à l’écriture, à l’Homme.

Dans l’écrit cyborg il est question du pouvoir de survie, basé non sur l’innocence originelle, mais sur la saisie des outils pour marquer le monde qui les a marqués en tant qu’autre.

Les outils sont souvent des histoires, des histoires redites, des versions qui retournent et déplacent le dualisme hiérachique des identités naturalisées. En racontant à nouveau les histoires de l’origine, les auteures cyborgs subvertissent les mythes centraux sur l’origine de la culture occidentale. Nous avons toutes été colonisées par ces mythes originels, avec leur espoir de réalisation par l’apocalypse. Les histoires originelles phallogocentrique les plus cruciales pour les cyber féministes sont inscrites dans les technologies proprement dites - technologies qui écrivent le monde, biothecnologie et micro-électronique – qui ont récement textualisé nos corps comme des problèmes de code sur la grille C3I. Les histoires cyber féministes ont la tâche de recoder la communication et l’intelligence afin de subvertir le commandement et le contrôle.

Au propre comme au figuré, les politiques du langage envahissent les luttes des femmes de couleur ; et les histoires au sujet du language ont un pouvoir spécial dans les riches écrits contemporains des femmes de couleur. Par exemple, les réécritures de l’histoire de Malinche, la femme indigène, mère de la race " batarde " des mesdzo du nouveau monde, maîtresse des langages et maîtresse de Cortes, revêt un sens spécial pour la construction de l’identité Chicana. Cherrie Moraga (1983) dans Loving in the War Years explore les thèmes de l’identité quand personne n’a jamais possédé le langage originel, n’a jamais raconté l’histoire originelle, n’a jamais résidé dans l’harmonie de l’hétérosexualité légitimisée dans le jardin de la culture et ne peut ainsi baser l’identité sur un mythe ou une perte de l’innocence et du droit au nom naturel, de la mère ou du père . Les écrits de Moraga, sa superbe connaissance de l’écriture, est présentée dans sa poésie comme la même sorte de violation que la maîtrise de Malinche du langage du conquérant—une violation, une production illégitime qui permet la survie. La langue de Moraga n’est pas " fermée" ; elle est une chimère de l’anglais et de l’espagnol, toutes deux langues des conquérants. Mais c’est ce monstre chimérique, sans droit à un langage originel avant la violation, qui modèle les identités réduites, compétentes et puissantes des femmes de couleur. Sister Outsider (Sœur d’Ailleurs) fait allusion à la possibilité de survivre au monde non grâce à l’innocence mais grâce à son aptitude à vivre aux limites, à écrire sans avoir besoin du mythe fondateur d’une entité originelle, avec son inéluctable apocalypse d’un retour final à une harmonie mortelle que l’Homme a imaginée comme étant la Mère innocente et toute puissante, libérée à la Fin, d’une autre spirale d’approbation par son fils. L’écriture marque le corps de Moraga, l’affirme en tant que corps d’une femme de couleur, contre la possibilité de passer à la catégorie sans marque d’identification qu’est le Père anglais ou le mythe orientaliste de " l’analphabétisme originel " d’une mère qui ne fut jamais. Malinche était mère ici, pas Eve avant de manger le fruit défendu. L’écriture affirme Sister Outsider, pas la Femme-d’avant-la-Chute-dans-l’Ecriture que réclame la phallogocentrique Famille de l’Homme.



L’écriture est avant tout la technologie des cyborgs, surfaces gravées de la fin du vingtième siècle. La politique cyborg est la lutte pour le langage et la lutte contre une communication parfaite, contre code unique qui traduit parfaitement toute signification, le dogme central du phallogocentrisme. C’est pourquoi les politiques cyborg insistent sur le bruit et préconisent la pollution, se réjouissant des fusions illégitimes de l’animal et de la machine. Ce sont là les accouplements qui rendent l’Homme et la Femme si problématiques, subvertissant la structure du désir, la force imaginée pour générer le langage et le genre, et subvertissant ainsi la structure et les modes de reproduction de l’identité " occidentale ", de la nature et de la culture, du miroir et de l’œil, de l’esclave et du maître, du corps et de l’esprit. " Nous " n’avons pas choisi au départ d’être des cyborgs, mais notre choix fonde une épistémiologie et une politique libérale qui imagine la reproduction des individus avant les reproductions plus larges de " textes ".

A partir de la perspective cyborg, libérées du besoin d’inscrire une action politique dans " notre " position privilégiée d’opprimés qui incorporent toutes les autres dominations, de l’innocence des victimes violées, de l’idée que nous serions plus proches de la terre, de vastes possibilités s’ouvrent à nous. Les féminismes et Marxismes ont butté contre les impératifs épistémologiques occidentaux de construire un sujet révolutionnaire depuis la perspective d’une hiérarchie d’oppressions et/ou d’une position latente de supériorité morale, d’innocence et de proximité supérieure à la nature. Sans rêve originel disponible d’un langage commun ou de symbiose promettant d’être protégé d’une séparation " masculine " hostile, mais inscrite dans le jeu du texte qui n’a finalement pas de lecture ou d’histoire de salut prédominante , se reconnaître " soi-même " comme complètement impliqué dans le monde nous libère du besoin d’enraciner nos politiques dans l’identification, les partis d’avant-garde, la pureté et la maternité. Dépouillée d’identité, la race batarde instruit sur le pouvoir des marges et sur l’importance d’une mère comme Malinche. Les femmes de couleur l’ont transformée de mère diabolique des peurs masculinistes en mère originelle sachant lire et écrire et qui apprend la survie.

Ceci n’est pas seulement de la déconstruction littéraire, mais de la transformation liminale. Toute histoire qui débute par l’innocence originelle et qui privilégie le retour à l’entité se représente le drame de la vie comme étant l’individuation, la séparation, la naissance du soi, la tragédie de l’autonomie, la chute dans l’écriture, l’aliénation ; c’est-à-dire, la guerre, tempérée du répit imaginaire dans le sein de l’Autre. Ces scénarios sont réglés par une politique reproductive — renaissance sans faille, perfection, abstraction. Dans ce scénario les femmes sont imaginées comme étant soit pour un mieux, soit pour un pire, mais tous conviennent qu’elles ont moins d’individualité, une individuation plus faible, plus de fusion vers l’oral, vers la Mère, qu’elles sont un enjeu moindre dans l’autonomie masculine. Mais il y a une autre route pour avoir moins d’importance dans l’autonomie masculine, une route qui ne passe pas par la Femme, le Primitif, le Zero, la Scène Miroir et son imagination. Elle passe par les femmes et autres cyborg illégitimes des temps présents, non nés de la Femme, qui refuse les ressources idéologiques de la victimisation afin d’avoir une vie réelle. Ces cyborgs sont des êtres qui refusent de disparaître sur un signe, indépendamment du nombre de fois qu’un commentateur " occidental " déplore la triste extinction d’un autre groupe primitif organique terrassé par la technologie moderne, par l’écriture . Ces cyborg de la vie réelle (par exemple, les femmes ouvrières venant de villages asiatiques du sud-est et travaillant dans des firmes électroniques japonaises et américaines décrites par Aihwa Ong) sont occupées à activement réécrire les textes de leurs corps et de leurs sociétés. La survie est l’enjeu de ce jeu de lectures.

Pour récapituler, certains dualismes ont persisté dans la tradition occidentale ; ils ont tous été systémiques aux logiques et pratiques de la domination des femmes, des personnes de couleur, de la nature, des travailleurs, des animaux – bref, la domination de tous ceux qui ont été constitués en tant qu’autres, dont la tâche est de refléter le soi. Au premier rang de ces dualismes troublants : soi/autre, esprit/corps, culture/nature, male/femelle, civilisé/primitif, réalité/apparence, entier/partie, agent/ressource, fabriquant/fait, actif/passif, bien/mal, vérité/illusion, total/partiel, Dieu/homme. Le Soi est Celui qui n’est pas dominé, qui sait cela grâce à l’autre, à celui qui détient le futur, à celui qui sait cela grâce à sa propre expérience de la domination, et donc donne comme mensonge toute idée d’autonomie du soi. Etre Un c’est être autonome, être puissant, être Dieu ; mais être Un c’est être une illusion et ainsi être impliqué dans une dialectique de l’apocalypse avec l’autre. Mais être autre c’est être multiple, sans frontières nettes, élimé, insubstantiel. Un est trop peu, mais deux c’est trop.

La culture high-tech met ses dualismes en question de manière fascinante. Qui est le sujet et l’objet de la fabrication dans la relation entre l’humain et la machine n’est pas clair. Pas plus que ce qui est esprit et ce qui est corps dans les machines qui fonctionnent dans des pratiques de codage. Dans la mesure où nous nous connaissons nous-mêmes à la fois dans le discours formel (la biologie par exemple) et dans la pratique quotidienne (l’économie du travail à domicile dans le circuit intégré par exemple), nous nous trouvons être des cyborgs, hybrides, mosaïques, chimères. Les organismes biologiques sont devenus des systèmes biotiques, des dispositifs de communication comme les autres. Il n’y a pas de séparation ontologique fondamentale dans notre connaissance formelle de la machine et de l’organisme, du technologique et de l’organique. La répliquante Rachel dans le film de Ridley Scott Blade Runner est l’image de la peur, de l’amour et de la confusion qu’engendre la culture cyborg.

Ceci a pour conséquence, entre autre, d’augmenter notre sens de la connexion avec nos outils. L’état de transe expérimentée par de nombreux usagers d’ordinateurs est devenu une base pour les plaisanteries culturelles et les films de science fiction. Les paraplégiques et d’autres personnes souffrant d’un handicap profond peuvent peut-être avoir (et parfois ont) les expériences les plus intenses d’hybridation complexe avec d’autres dispositifs de communication . Le roman pré-féministe d’Anne McCaffrey’s The Ship Who Sang (1969) a exploré la conscience d’un cyborg, hybride d’un cerveau de fille et d’une machine complexe, formée après la naissance d’un enfant lourdement handicapé. Le genre, la sexualité, l’en-corporation, la technique : tous sont représentés dans cette histoire. Pourquoi nos corps devraient-ils s’arrêter à notre peau, ou au mieux inclure d’autres êtres encapsulés par la peau ? Depuis le 17ème siècle jusqu’à nos jours, les machines pouvaient être animées – on leur a donné des âmes fantômatiques pour les faire parler ou bouger ou pour justifier leur développement discipliné et leurs capacités mentales. Ou les organismes pouvaient être méchanisés, réduits à un corps compris comme une ressource de l’esprit. Ces relations de machines/organismes sont obsolètes et inutiles. Pour nous, en imagination et par d’autres pratiques, les machines peuvent être des appareils prothétiques, des composantes intimes, des identités amicales. Nous n’avons pas besoin d’un holisme organique pour offrir une entité imperméable, la femme totale et ses variantes (mutantes ?) féministes. Je vais conclure ce point par une lecture très partiale de la logique des monstres cyborgs de mon second groupe de textes, la science fiction féministe.

Les cyborgs qui peuplent la science fiction féministe rendent très problématique le statut de l’ homme ou de la femme, humain, artefact, membre d’une race, entité individuelle, ou corps. Katie King clarifie comment le plaisir de la lecture de ces fictions n’est pas largement basé sur l’identification. Les étudiants qui font face à Joanna Russ pour la première fois, ceux qui ont appris à lire les écrivains modernistes tels que James Joyce ou Virginia Woolf sans tressaillir, ne savent pas quoi faire de The Aventures of Alyx ou de The Female Man (L'Autre Moitié de l'homme), dont les personnages refusent la quête du lecteur d’une entité innocente tout en exauçant le souhait de quêtes héroïques, d’érotisme exubérant et de politiques sérieuses. The Female Man (L'Autre Moitié de l'homme) raconte quatre versions d’un génotype, qui tous convergent, mais qui même pris ensembles ne forment pas un tout, ne résolvent pas les dilemmes d’une action morale violente ni n’écartent le scandale grandissant du genre. La science fiction féministe de Samuel R.Delany, spécialement Tales of Neveyon, parodie les histoires sur l’origine en refaisant la révolution néolithique, en rejouant les mouvements foundateurs de la civilisation occidentale afin de subvertir leur vraissemblance. James Tiptee Jr, un auteur dont les fictions ont été considérées comme particulièrement viriles jusqu’à ce que son " vrai " sexe soit révélé, raconte des histoires de reproduction basées sur des technologies non-mammifères comme l’alternance des générations d’hommes dotés d’une poche ventrale et élevées par l’homme. John Varley construit un cyborg suprême dans son exploration archi-féministe de Gaea, une déesse folle-planète-filoutte-femme âgée-machine technologique sur la surface de laquelle est engendré un étalage extraordinaire de symbioses post-cyborg. Octavia Butler évoque une sorcière africaine mesurant ses pouvoirs de transformation aux manipulations génétiques de sa rivale (Wild Seed), un retour dans le temps qui transporte une femme noire américaine moderne au temps de l’esclavage où ses actions et ses relations avec son ancêtre-maître blanc déterminent la possibilité de sa propre naissance (Kindred), des points de vue illégitimes sur l’identité et la communauté d’un enfant adopté d’espèce croisée qui a appris à connaître l’ennemi comme étant lui-même (Survivor). Dans Dawn (1987), le premier épisode d’une série appelée Xenogenesis, Octavia Butler raconte l’histoire de Lilith Iyapo, dont le prénom rappelle la première femme répudiée d’Adam et dont le nom de famille marque son statut en tant que veuve du fils d’immigrants nigériens aux Etats-Unis. Une femme noire et une mère dont l’enfant est mort, Lilith sert d’intermédiaire pour la transformation de l’humanité par l’échange génétique avec des amants extra-terrestres/sauveurs/destructeurs/ingénieurs génétiques, qui réforment les habitats terriens suite à un holocauste nucléaire et contraint les humains qui survivent à des fusions intimes avec eux. Il s’agit d’un roman qui interroge les politiques reproductives, linguistiques et nucléaires dans un champ mythique structuré par la race et le genre de la fin du vingtième siècle.

Superluminal de Vonda McIntyre, parce qu’il est particulièrement riche en transgressions des limites, peut clôturer ce catalogue tronqué de monstres prometteurs et dangereux qui aident à redéfinir les plaisirs et politiques de l’en-corporation et la littérature féministe. Dans une fiction au sein de laquelle aucun personnage n’est " simplement " humain, le statut humain est hautement problématique. Orca, une plongeuse modifiée génétiquement, peut parler avec les baleines tueuses et survivre dans les eaux profondes, mais elle aspire à explorer l’espace en tant que pilote, nécessitant des implants bioniques qui compromettent sa parenté avec les plongeurs et les cétacés. Les transformations sont effectuées grâce à des vecteurs de virus portant un nouveau code de dévelopement, par transplantation chirurgicale, par des implants d’appareils microélectroniques, par des doubles analogues et autres moyens. Lacnea devient pilote en acceptant l’implant d’un cœur et accueille d’autres altérations qui permettent de survivre en transit à des vitesses dépassant celle de la lumière. Radu Dracul survit à une peste virale dans sa planète extraterrestre pour se retrouver avec un sens du temps qui change les limites de la perception spatiale pour l’espèce entière. Tous les personnages explorent les limites du langage ; le rêve de communiquer l’expérience et la nécessité de limitation, de partialité et d’intimité même dans ce monde de transformation et de connexion protéenne. Superluminal représente aussi les contradictions de la définition d’un monde cyborg dans un autre sens : il incarne textuellement l’intersection de la théorie féministe et du discours colonial dans la science fiction à laquelle j’ai fait allusion dans ce chapitre. Il s’agit d’une conjonction avec une longue histoire que de nombreuses féministes des pays " du 1er monde " ont essayé de réprimer, moi y compris dans mes lectures de Superluminal avant de m’être faite rappeller à l’ordre par Zoe Sofoulis, qui étant donné sa place différente dans le système informatique mondial de domination l’a rendue extrêmement vigilante au moment impérialiste de toutes les cultures de science fiction, y compris la science fiction de femmes. Depuis sa sensibilité féministe australiene, Soufoulis se souvient plus du rôle de McIntyre en tant qu’auteur des aventures du Capitaine Kirk et de Spock dans la série TV Star Trek que de sa réécriture de la romance dans Superluminal.

Dans les imaginaires occidentaux, les monstres ont toujours défini les limites de la communauté. Les Centaures et les Amazones de la Grèce antique ont établi les limites d’un pouvoir axé autour du mâle grec en rompant l’image du mariage et en pervertissant les frontières du guerrier au travers de l’animalité et de la femme. Au début de la France moderne, les jumeaux siamois et les hermaphrodites ont été le matériau humain trouble qui fonda le discours sur le naturel et le supernaturel, le médical et le légal, les malédictions et les maladies—tous cruciaux pour établir l’identité moderne . Les sciences de l’évolution et du comportement sur les antropoïdes et les singes ont marqué les limites multiples des identités industrielles de la fin du vingtième siècle. Les monstres cyborgs de la science fiction féministe définissent des possibilités et limites politiques tout à fait différentes de celles qui sont proposées par la fiction mondaine de l’Homme et de la Femme.

Prendre au sérieux l’imagerie des cyborgs en tant qu’autre que notre ennemi entraîne plusieurs conséquences. Nos corps, nous-mêmes ; les corps sont des cartes de pouvoir et d’identité. Les cyborgs ne sont pas une exception. Un corps cyborg n’est pas innocent ; il n’est pas né dans un jardin ; il ne recherche pas une identité unitaire et ainsi génère des dualismes antagonistes sans fin (ou jusqu’à ce que le monde finisse) ; il prend l’ironie comme allant de soi. Un est trop peu et deux est seulement une possibilité. Le plaisir intense dans la technique, dans la technique de la machine, cesse d’être un péché mais devient un aspect de l’en-corporation. La machine n’est pas une chose qui doit être animée, adorée et dominée. La machine c’est nous, nos processus, un aspect de notre en-corporation. Nous pouvons être responsables pour des machines ; elles ne nous dominent ni ne nous menacent ; nous sommes responsables des limites ; nous sommes les limites. Jusqu’à maintenant (il était une fois), l’en-corporation féminine semblait naturelle, organique, nécessaire et l’en-corporation féminine semblait signifier de la technique dans la maternité et dans ses extensions métaphoriques. C’est seulement en n’étant pas à notre place que nous pourrions prendre un plaisir intense dans les machines et puis en utilisant l’excuse qu’il s’agissait d’une activité organique après tout, qui convenait aux femmes. Les cyborg pourraient considérer plus sérieusement l’aspect parfois partial et fluide du sexe et de l’en-corporation sexuelle. L’appartenance à un sexe pourrait ne pas être une identité globale après tout, même si elle a une profonde ampleur et enracinement historique.

La question idéologiquement chargée de ce qui compte comme activité journalière, comme expérience peut être approchée en exploitant l’image du cyborg. Les féministes ont récemment revendiqué que les femmes sont données à la quotidienneté, que les femmes plus que les hommes d’une manière ou d’une autre supportent mieux le quotidien et ainsi ont potentiellement une position épistémiologique privilégiée. Il existe un aspect irrésistible à cette revendication, un aspect qui rend visible l’activité féminine non valorisée et qui la nomme comme étant la base de la vie.

Mais la base de la vie ? Qu’en est-il de toute l’ignorance des femmes, toutes les exclusions et les échecs par rapport au savoir et à la technique ? Qu’en est-il de l’accès des hommes aux compétences quotidiennes, à la connaissance de la construction des choses, à leur déconstruction, au jeu ? Qu’en est-il des autres en-corporations ? Le genre cyborg est une possibilité locale qui prend une vengeance globale. La race, le genre et le capital ont besoin d’une théorie cyborg du tout et des parties. Il n’y a pas de désir chez les cyborgs de produire une théorie totale, mais il y a une expérience intime des limites, de leur construction et de leur déconstruction. Il y a un système de mythe qui attend de devenir un langage politique pour baser une manière de regarder la science et la technologie et de défier l’informatique de la domination—afin d’agir de manière puissante.

Un dernière image : les organismes et les politiques organismiques et holistiques dépendent de métaphores de renaissance et en appellent invariablement aux ressources du sexe reproductif. Je dirais que les cyborgs ont plus à voir avec la regénération et se méfient de la matrice reproductive et de la plupart des naissances. Pour les salamandres, la régénération suite à une blessure, telle que la perte d’un membre, implique un redéveloppement de la structure et une restauration de la fonction avec une possibilité constante de s’entortiller ou quelque autre curieuse production topographique à l’emplacement de l’ancienne blessure. La reconstruction d’un membre peut être monstrueuse, dupliquée, puissante. Nous avons toutes été blessées profondement. Nous avons besoin d’une regénération, pas d’une renaissance et la possibilité pour notre reconstitution d’inclure le rêve utopique de l’espoir pour un monde monstrueux sans genre.

Dans cet essai, l’imagerie cyborg peut aider à exprimer deux arguments cruciaux : premièrement, la production d’une théorie universelle, totalisante représente une erreur majeure qui passe à côté de la plupart de la réalité, sans doute toujours, mais certainement maintenant ; deuxièmement, prendre la responsabilité des relations sociales de la science et de la technologie signifie refuser une métaphysique anti-science, une démonologie de la technologie et ainsi signifie embrasser la tâche habile de reconstruire les limites de la vie quotidienne, en connexion partielle avec les autres, en communication avec toutes nos parties. Il ne s’agit pas simplement du fait que la science et la technologie sont des moyens possibles de grande satisfaction humaine aussi bien qu’une matrice de dominations complexes. L’imagerie cyborg peut suggérer une sortie du dédale des dualismes dans lesquels nous avons expliqué nos corps et nos outils à nous-mêmes. Ceci est un rêve non pas d’un langage commun mais d’une hétéroglossie infidèle et puissante. C’est l’imagination d’une féministe parlant en langues pour effrayer les circuits du super sauveur de la nouvelle droite. Cela veut dire à la fois construire et détruire des machines, des identités, des catégories, des relations, des histoires spatiales. Même si toutes deux sont liées par la danse en spirale, je préférerais être un cyborg plutôt qu’une déesse.

last modified: 21/11/2002 @ 07:59
Category : book

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