*** UNPUBLISHED MATERIAL :
from: Nadine Plateau
email:nadine.plateau@skynet.be

how to publish on cyberf?

back to text index



A propos du texte de Braidotti: Cyberfeminism with a difference

A la première lecture, le texte m'avait irrité par ses côtés modes
(terminologie, exemples etc.), le traitement superficiel de certaines
notions (hyper-réalité par exemple), le manque de théorisation de certaines
questions (la représentation), ses ellipses, envolées poétiques,
affirmations rapides et surtout sa réduction de la création (subversive et
politique) à une seule pratique artistique (parodie) avec pour corollaire
la lecture réductrice de l'ouvre de certaines artistes (Holzer et Sherman).
Ma deuxième lecture était informée par un autre questionnement puisque je
me demandais ce qui avait intéressé et même enthousiasmé un certain nombre
de personnes. Mes premiers énervements passés, j'ai pu apprécier le texte.
La question de Braidotti, à savoir comment réajuster notre politique à ce
qui se passe aujourd'hui, est évidemment une question cruciale pour les
gens de ma génération qui ont lutté contre les inégalités, l'oppression, la
domination et l'exploitation d'êtres humains et qui se retrouvent au milieu
d'un monde complètement différent de celui qui a été le cadre de leur
combat. Braidotti nous donne de ce monde une description lucide
(mondialisation de l'économie, racisme et xénophobie, sexisme, pornographie
etc.) mais non dénuée d'optimisme car elle met l'accent sur l'alliance
qualifiée de perversement prometteuse de l'alliance entre technologie et
culture. D'emblée elle annonce ce qui revient comme un leitmotiv dans son
texte: les potentialités qu'ouvrent aux femmes les nouvelles technologies,
comme aussi la crise de la modernité, l'abandon de l'idéal humaniste etc.
Là se trouve d'ailleurs ce qui m'a le plus touché dans son texte: son
enthousiasme indéfectible pour le rire, le plaisir, enthousiasme qui
n'exclut pas la lucidité et la prise en compte de la mort sous toutes ses
formes aujourd'hui. Braidotti parie pour la vie, elle a raison contre tous
les vieux bougons. L'histoire est à faire et la possibilité existe de créer
de nouveaux espaces pour des pratiques culturelles subversives des codes
dominants.
L'une des tendances nouvelles et irréversibles de la post-modernité citée
par Braidotti est la disparition du corps naturellement, biologiquement
sexué comme point culminant de sa dénaturalisation. Je trouve que cela pose
des questions aux féministes: si comme le disait Delphy c'est le genre qui
crée le sexe, dès lors qu'il n'y a plus de sexe, comment penser le genre?
Comment penser l'oppression dont sont victimes les femmes réelles? Je ne
comprends pas bien ce que Braidotti propose quand elle suggère de parler de
notre corps en termes de embodiment. Est-ce que cette formule permet de
penser la spécificité du rapport des femmes au monde? Spécificité qui tend
à être oubliée tant dans les lois (occultation du sexe via l'égalisation
démocratique) que dans les réflexions philospohiques (indécidabilité du
sexe dans la queer theory). De plus, je ne vois pas la différence entre
(re)embodiment et incarnation. Cette dernière notion (bien chrétienne) est
proposée à la fin comme stratégie spécifique pour les hommes: Men need to
get embodied, to get real, to suffer through the pain of re-embodiment,
that is to say incarnation. Les hommes sont-ils des dieux qui doivent
descendre sur terre et pour sauver qui? Mais le problème est-il que les
hommes souffrent ou non dans leurs corps (ils ont toujours souffert) ou que
quoi qu'ils fassent ils sont toujours pris dans un système hiérarchique qui
leur assure la domination?
Autre problème pour moi. Braidotti propose des stratégies pour encourager
les femmes à être sujets et les hommes à s'incarnér. Elle n'aborde pas la
question de leurs rapports. Celle-ci est absente de ce texte: il n'y a pas
de rapport sexuel même pas à inventer. L'hypothèse même d'écouter les
hommes ou d'agir avec (certains d'entre) eux est absente. Or il n'y a pas
que des créateurs sexistes. Je pense au dernier Kubrick qui met en scène un
homme perturbé par la reconnaissance du désir féminin qui (enfin) ne
recourt pas aux solutions patriarcales traditionnelles pour conforter son
égo (ce que la critique a interprété en termes d'impuissance!).
Quant à ce qu'elle propose par rapport à la culture dont elle saisit bien
les enjeux au niveau de l'imaginaire (colonisation par les productions
américaines), la politique de la parodie, la philosophie du comme si,
celle-ci m'apparaît comme une des voies possibles, d'autres n'étant pas à
exclure. La parodie suppose la maîtrise des codes, or il n'est pas exclu
que d'autres codes puissent se manifester (question de pouvoir, de mode
etc.) venus d'autres cultures ou subcultures (l'écriture de l'art nègre qui
inspire les artistes occidentaux) au début du siècle. La maladresse dans
l'usage des codes ou l'impuissance peuvent aussi être à l'origine de
pratiques créatrices (Duchamp, le ready-made). La naïveté, la fraicheur etc
de même (je pense à ce film d'Anne Fontaine Augustin roi du Kung Fu
l'humour n'est en rien un rire iconoclaste mais le produit d'une
sensibilité et d'une fantaisie simplement inattendues.
La parodie dont parle Braidotti s'apparente aux pratiques culturelles
subversives qui utilisent les codes dominants, les détournent de leur
objectif original et leur donnent un autre sens (Hannah Hoch et ses
collages, Rosemarie Trockel et ses tricots). C'est une pratique élémentaire
et très courante: souvent on se contente de changer le message sans même
changer la forme (les chansons féministes italiennes sur l'air des chansons
de lutte). Un vieux truc donc. Braidotti ajoute, ceci est nouveau, que la
pratique de la parodie, qui s'accompagne de répétitions ritualisées (là
aussi quelque chose m'échappe), doit s'enraciner dans les expériences de
vie (OK jusque là), il s'agit alors de formes radicales de re-embodiment.
On se réincarne dans quoi et pourquoi et comment on se réincarne. Ou bien
cette pensée est elliptique et je ne saisis pas sa complexité ou bien elle
est toute simple (la fémininité est une option, pas une assignation) et
alors je ne peux m'empêcher de me demander si l'on peut sans ambiguïté à la
fois affirmer et déconstruire la femme en tant que pratique signifiante.
L'exemple de Madonna vient à l'esprit qui s'est appropriée la féminité en
la rendant comme dit Braidotti gênante et produit une génération de jeunes
fascinées par le pouvoir au bout du glamour.
Autant je partage l'optimisme de Braidotti quand il s'agit d'apprécier les
espaces ouverts aujourd'hui pour recréer le language (la culture et
l'imaginaire), autant je trouve sa solution un peu limitante: à côté de la
parodie, il y a la fraicheur de l'ignorance (les soeurs Martin); à côté de
l'humour, il y a le sens du tragique (Les frères Dardenne avec Rosetta); à
côté de l'art moralisateur (Holzer), il y a des ouvres qui laissent parler
les images (Blocher); à côté des iconoclastes (Rosler), il y a les
modestes et les timides (tout plein) etc. etc.
Je plaiderais donc pour une politique culturelle plus large qui tiendrait
compte de toutes les contributions à l'élaboration d'une culture mixte,
hétérogène, plurielle.